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  • Jeanne Gourdon

Beatriz, 40 ans, Santa Marta.

Dernière mise à jour : 25 juin 2021




La Colombie compte trois groupes ethniques reconnus par l'État : les Amérindiens, les Afro-Colombiens et les Roms. Parmi les Amérindiens, on compte pas moins de 87 groupes autochtones disséminés à travers le pays avec des coutumes, des cultures et des langues différentes. Ces groupes ethniques minoritaires sont confrontés au racisme, à la destruction de terres et de territoires, aux déplacements forcés et à l'exclusion sociale. Aujourd'hui, ils sont acteurs des débats du Paro Nacional, notamment grâce aux associations qui les défendent.



Je m’appelle Beatriz Hernández. J’appartiens à la Fondation Semilla Verde, une filiale de l'ASONAMC (Organisation des droits des femmes) qui est en lien avec le MADIPAZ. Il s’agit du premier organisme de surveillance des accords de paix concernant les femmes et les genres. Je fais aussi partie de la Fédération Démocratique Internationale des Femmes (FDIM). Nous nous consacrons au renforcement de l’organisation des communautés et de leurs gouvernances.


Je suis avocate, défenseuse des droits de l'homme, des communautés, des peuples ethniques, des territoires et de la biodiversité. Je me considère aussi comme féministe et communiste. Je suis la conseillère du peuple Ette Ennaka, des Gardiens de la rivière Gaira et du Conseil communautaire de San Juan de Palos Prieto Victoria Torres (organisation qui représente les intérêts de la culture noire). Je suis également déléguée au Pacte ethnique de la Sierra Nevada de Santa Marta, poète, conteuse et photographe amateur


Nous en sommes aujourd’hui à un moment où toutes les injustices, la mauvaise administration du pouvoir, les inégalités sociales et économiques ont fait leur œuvre. La pandémie n'a fait que révéler et aggraver la dégradation de la qualité de vie. Elle a accru la pauvreté sociale qui existait déjà avec la corruption, la vulnérabilité permanente et le trafic de drogue érigés en modèle par le gouvernement. Nous sommes fatigués d’entendre des mauvaises nouvelles. Des exemples ? La rivière Ranchería a été détournée et depuis, des enfants sont morts, la faune et la flore disparaissent. Le glyphosate a été utilisé dans les campagnes pour détruire les champs de coca. En faisant cela, ils ont empoisonné les cultures de tout le monde. A Santurbán (écosystème de Paramo) tout est dégradé. Le Président Duque décrète des réformes fiscales et des retraites absurdes.




Photo: Beatriz en bleu durant une réunion à la table ronde spéciale pour la consultation des peuples autochtones et afro-caribéens (PDET)


Nous ne faisons que survivre, nous ne faisons que résister.

Nous sommes lassés de l'impunité, de l’absence de justice. La vie n’est pas garantie, les femmes sont tuées et violées parce qu'elles sont des femmes et rien ne se passe. On en a assez de ne pas trouver d’emploi, de ne pas avoir droit à une pension, un minimum de stabilité pour planifier une famille, un avenir… Nous ne faisons que survivre, nous ne faisons que résister.


Une génération s'est réveillée. Elle ne peut plus tolérer une vie sans avenir, sans travail, sans éducation, sans opportunités. Les mots développement et progrès n'existent pas pour ceux d'en bas, et ils sont nombreux : c'est le peuple. Ce même peuple en uniforme qui tue ceux qui protestent pacifiquement pour des transformations profondes de l'État colombien. Le gouvernement fait face aux protestations de manière systématiquement abusive. Il a des comportements agressifs, criminels et violents, il fait preuve d’excès d'autorité. Les journalistes et défenseurs des droits de l'homme qui accompagnent ces manifestations comme témoins et qui enregistrent ce qui se passe, sont piétinés.

Les chaînes privées payées par les deux familles les plus puissantes du pays veulent cacher ce qui se passe.


Des dirigeants comme Paloma Valencia (membre du Sénat) et beaucoup d'autres alliés du centre démocratique ont déclaré qu'ils ne respecteront pas les accords de paix, qu'ils feront tout ce qui est nécessaire pour les mettre à bas. Et c’est ce qu'ils font jour après jour. L’administration corrompt les ressources pour la paix, ils écartent les communautés et le peuple des décisions qui les concernent. Le gouvernement a annexé la paix, comme si la guerre n’avait pas touché toute la Colombie !


Seules 171 municipalités dans tout le pays ont été choisies, laissant de côté des populations entières. Nous avons subi la dépossession et le déplacement, les homicides et les massacres, la liste des décès qui sont signalés chaque jour en Colombie s’allonge. Ils concernent des signataires de paix, des filles, des frères ou des sœurs. Ils attaquent tout, du rêve à l'espoir de renaissance. Ils tuent des individus ou des groupes. Ici il est déjà courant d’apprendre qu'ils ont tué un leader, une indigène, une afro, un défenseur du territoire, une femme. Le système judiciaire est efficace uniquement pour ceux qui payent et non pour ceux à qui il devrait servir.


Les droits fondamentaux continuent d'être bafoués par le patriarcat dans une structure étatique extractiviste et néolibérale. Tout le système contribue à maintenir une forme de guerre informelle, à l'intérieur du pays, comme faisant partie de l'économie d'État.



Photo: Beatriz à Santa Marta. Hommage à Alison, une jeune femme qui s'est suicidée suite à une agression sexuelle par la police survenue pendant une manifestation à Santa Marta.



Tout a commencé avec la mort de Dylan Cruz en 2019, tué par la police lors d'une manifestation pacifique à Bogota où un avocat a aussi été battu à mort lors d’une arrestation. Cela a donné lieu à une manifestation en 2020 au cours de laquelle la police a tué 11 personnes avec le soutien du ministère de la Défense.

Depuis le 28 avril 2021, l'ordre de tuer les manifestants a été donné notamment par un tweet de Álvaro Uribe qui a suggéré d’utiliser toutes les forces pour tirer sur les “vandales”.

Le Président Duque a aussi ordonné d’utiliser la force contre les manifestants. Avec son gouvernement, la police, l’armée et l’ESMAD (Escadron mobile anti-émeutes), ils répriment les manifestations. Ils nous tuent parce qu’on proteste pour défendre ce pays et ceux qui ne peuvent plus supporter autant d'abus. Depuis, il y a plus de 980 personnes disparues, 68 assassinées, 24 violées, 45 devenues aveugles, 600 poursuites illégales et plus de 1000 détentions arbitraires.

Cali est la ville la plus touchée par la violence, mais on la trouve dans tout le pays à un niveau plus ou moins élevé.



l'ordre national a été de tirer, d'attaquer et de réprimer avec force les protestations.


A Santa Marta, le 5 mai, la police de transit a tenté une action provocatrice pour disperser la mobilisation de plus de 12.000 personnes . Des actes violents ont commencé et nous avons vu,- je faisais partie de l'équipe des droits de l'homme - , que l'ordre national a été de tirer, d'attaquer et de réprimer avec force les protestations. Il y a eu des lancers de pierres et des tirs de la police nationale. Une grande partie des manifestants était mineure : on estime à 70% la population jeune de Santa Marta sortie pour marcher ce jour-là.

Suite à la fusillade, un garçon et une fille mineurs ont été blessés. Une autre a reçu des coups de pied et son téléphone portable a été volé par l'un des membres de l’ESMAD, alors qu’elle courait avec un autre groupe de personnes terrifié, fuyant les gaz


C'est ainsi que les choses se passent, même dans un département avec un gouvernement progressiste comme celui de Magdalena, où les politiques se disent garants des droits et où la mobilisation a toutes les chances de se passer pacifiquement. Pourtant, on a aussi pu voir de la répression, lors de peintures murales ou de sit-in populaires. Les forces de sécurité ont été agressives et le harcèlement a été tel, qu’ il a fallu appeler le bureau du médiateur pour demander du soutien et le respect des droits des participants. Semillas Verdes, la Fondation dont je suis membre, a lancé une pétition pour la protection des droits des participants et celle du droit de manifester.


Photo: Représentant des Droits de l'Homme, manifestation du 9 Juin à Bucaramanga.



Je suis avocate des droits de l'homme mais aussi plus précisément des communautés afro et indigènes. Nous nous consacrons à la protection des communautés, à la préservation de leurs modèles traditionnels et de leur autonomie.

Nos combats portent sur la force des femmes, la reconnaissance de nos différences, leur vision du monde. Nous voulons réaffirmer leur lien avec la biodiversité, la communion avec la nature, le respect de la terre mère. Nous travaillons sur la compréhension des peuples indigènes, afro-gitans, paysans, citoyens comme faisant partie d'un tout, faisant également partie de ces différentes façons dont nous nous reconnaissons en tant que Colombiens.

L'un de nos défis est de protéger les populations indigènes, afro, gitanes, paysannes, la population migrante, les marginaux et leur qualité de vie dans les territoires. On doit composer avec une société qui orchestre la destruction et l'extraction de toute forme de vie, la commercialisation du tout pour le tout.



Nous sommes les enfants d'une colonie qui ne finit pas.


On veut en finir avec la condition patriarcale qui menace la concession des besoins territoriaux, affirmer une protection qui va plus loin que celle des propriétaires terriens qui s'engagent soi-disant au respect des ressources.

Nous voulons faire tout cela à travers la mise en perspective des femmes et des genres, dans la conscience de la pluralité du Colombien et dans la reconnaissance des voix du peuple. Il faut un gouvernement qui comprenne l’interculturalité, qui respecte les différences, qui connaît son histoire et protège.


Pourquoi ces communautés posent-elles un problème important ? Parce que si ce pays se déclare interculturel et multiculturel, il s’agit plus de l’exercice d’un discours instrumentalisé plutôt que dans la pratique, du respect des droits de l’expression et de la vie des communautés. Je suis contre le pouvoir monopolistique, les économies extra-activistes, les intérêts politiques, cette société de consommation mafieuse et corrompue, nous sommes les enfants d'une colonie qui ne finit pas.


Ce que je veux pour la Colombie ? Des changements structurels, une société qui ne considère pas normal de lire ou de voir qu’il y a eu des meurtres, des tortures, des séquestrations, des dépossessions auprès de ne serait-ce qu'un seul Colombien ou Colombienne.

Il faut que la terre arrête de saigner et que la biodiversité, la protection de la vie et des territoires soit une priorité.





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