Juan David le 9 juin 2021 à Bucaramanga
Depuis le 28 avril 2021, la Colombie connaît une crise sans précédent. Une nouvelle forme de protestation urbaine, jeune et sans peur, a émergé. A ce jour, au moins 74 personnes ont perdu la vie et plus de 2300 ont été blessées. Les Droits de l’Homme sont bafoués et ses représentants doivent être présents à chaque manifestation pour rendre compte de la violence et garantir la dignité humaine.
Je m'appelle Juan David, j'ai 22 ans et je suis né à Bucaramanga en Colombie. Je suis étudiant en dernière année de droit à l'Université industrielle de Santander et défenseur des droits de l’homme depuis 2019.
Je pense que le problème en Colombie est principalement lié à la répartition des terres. C'est un pays dont le territoire est divisé entre les mêmes familles. Historiquement, elles ont contrôlé le pays, ignorant les droits des propriétaires : paysans, indigènes et autres minorités. Pendant des siècles, ceux-ci ont été opprimés par la même classe oligarque, provoquant une guerre civile de plus de 60 ans en raison de leur indifférence et de leur despotisme.
Je crois qu'un soulèvement populaire est en train de se préparer, car aujourd'hui, ce qui gouverne en Colombie ce n’est pas autre chose que la faim. Ce peuple, depuis des décennies, supplie le gouvernement de lui garantir des droits fondamentaux et, en réponse, n'a rien obtenu d'autre que la répression violente et systématique de la police et de l'armée. La tant acclamée Sécurité Démocratique, ne consiste en rien d'autre que des attaques et des violences contre ces classes populaires qui réclament leurs droits, qui sont fatiguées de leurs conditions matérielles et de l'exploitation. C’est ce qui caractérise le contexte social et politique de la Colombie.
Représentants des droits de l'Homme le 9 juin 2021 à Bucaramanga
Il faut comprendre que les droits de l'homme ne peuvent être violés que par l'État, je crois ainsi, que ceux qui se mobilisent aujourd'hui le font précisément parce qu'ils sont lassés de cette violence systématique contre la population civile, de voir leurs droits systématiquement bafoués depuis tant d'années.
Notre rôle en tant que représentants des droits de l’homme est de nous assurer que les forces publiques respectent les protocoles internes, nationaux et internationaux sur l'usage de la force. Nous devons faire en sorte que la vie et l'intégrité des personnes qui manifestent soient respectées, tout comme les protections judiciaires de ceux qui sont capturés.
Je pense que les missions de vigilance sur le respect des droits de l'homme consistent principalement à offrir aux gens certaines garanties pour que leurs droits soient respectés dans le cadre de la protestation sociale. Sur le terrain, on se rend compte que les gens se sentent plus soutenus quand ils remarquent la présence des défenseurs des droits de l'homme, ils savent qu’on les soutient, qu’on veille à leurs droits, qu’on ne les voit pas comme des vandales parce qu'on comprend les causes justes qui motivent la colère qui se déchaîne dans la rue.
Un peuple plus déterminé que jamais à faire valoir ses droits et sa dignité, qui n'a plus et n'aura plus jamais peur de la violence, de la répression et du terrorisme d'État.
Les différentes Primera Linea (Premières Lignes) qui se sont formées dans le pays montrent qu'il est possible de mettre de côté les petites différences qui nous séparent au profit d'une plus grande cause. Elle sont l’expression de la fatigue du peuple qui ne voit pas de réels changements, un peuple plus déterminé que jamais à faire valoir ses droits et sa dignité, qui n'a plus et n'aura plus jamais peur de la violence, de la répression et du terrorisme d'État.
Les forces armées colombiennes, en particulier la police nationale, ont leur uniforme taché de litres de sang innocent versé en toute impunité depuis des décennies. À mon avis, la police nationale est le plus grand gang criminel que la Colombie ait connu dans son histoire. Son but est de réprimer, d'extorquer, d'assassiner et de faire disparaître la population la plus vulnérable. C'est d’ailleurs pourquoi je ne suis pas du tout surpris de la façon dont elle agit contre la protestation sociale, car en fin de compte, elle est le laquais de la classe oligarchique qui dirige le pays, c'est elle qui prend soin de toutes ses richesses et lui permet de rester au pouvoir.
J'aimerais vraiment qu'un jour, ils laissent tomber leurs boucliers et leurs armes, et se souviennent de leurs origines. La plupart d'entre eux sont aussi issus de familles paysannes ou pauvres. Je voudrais qu’ils se rendent compte que leur vie ne vaut rien aux yeux de ceux qui les dirigent et soutiennent leur peuple. Cependant, je sais que c’est difficile. Ceux qui diffusent ce genre d’idées au sein de leur profession, les quelques bons policiers, finissent par être corrompus, par "démissionner" ou être tués par leurs collègues.
Les jeunes de la première ligne prient en début de marche, 23 juin 2021
Je ne sais pas ce qui a changé en un mois de “paro”. J'aimerais dire beaucoup de choses… Peut-être que nous sommes un peu plus solidaires, moins indifférents à la douleur des autres. Cependant, je suis inquiet de voir que rien n'a fondamentalement changé, de voir que la mort de beaucoup n'a servi à rien ou à si peu, mais seul le temps nous le dira.
Je veux un pays juste, un pays où les gens peuvent vivre dans la dignité, en paix et dans une société juste où les richesses sont partagées équitablement, un pays où l’on n’a pas à donner sa vie pour réclamer ses droits fondamentaux.
Je veux remercier tous ceux qui ont suivi ce qui se passe en Colombie, je veux dire à mes collègues de ne jamais cesser de se battre. Peut-être que la bataille sera dure, mais la récompense sera de laisser à nos enfants le pays dont nous rêvons.
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