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  • Jeanne Gourdon

Laura, Cali, 25 ans.


Laura le 29 avril 2021, Loma de la dignidad


En plus de se battre contre son gouvernement, Laura est aussi une féministe convaincue. Il faut dire que le sort des colombiennes est étroitement lié aux conflits armés. Déplacées, assassinées, victimes de violences conjugales et sexuelles, parmi elles, les petites filles et les adolescentes sont les plus touchées*. Ça aussi, c'est un combat à mener dans son pays.



Je m'appelle Laura. Je vis à Cali, en Colombie où je suis née. Je suis diplômée de l'Universidad del Valle, l'université publique de Cali. J'ai étudié la communication sociale et le journalisme. Aujourd'hui, je travaille comme chercheuse sur le projet de Rosa Bermúdez, professeur à l'Universidad del Valle qui s’appelle : "Leadership social et renforcement de l'autonomie économique des femmes indigènes dans la municipalité de Silvia, Cauca".


Je fais également partie de l'école d'études féministes de Cali, Esfemica dans l'équipe des contenus. Esfemica est une fondation qui s'efforce d'apporter un soutien féministe abolitionniste et radical à tous les scénarios que vivent les femmes. Nous cherchons à mettre fin au patriarcat et à construire un monde où les femmes ne sont plus "le deuxième sexe"…


En plus d'être une féministe radicale et abolitionniste, je suis une gauchiste, métisse avec des racines noires et indigènes. Je me bats pour construire un pays sans racisme, sans sexisme, sans discrimination d'aucune sorte. Un pays sans faim, avec de la justice, avec des opportunités.

Photo : Laura, proche de l'hôpital universitaire del Valle, 28 avril 2021

La Colombie est un pays qui ne connaît pas la paix. Avec l'accord entre le gouvernement de l'ancien président Santos et les FARC-EP, aujourd'hui disparues, beaucoup d'entre nous ont pu croire qu'une solution au conflit était possible, mais le gouvernement de Duque et du sénateur Uribe a mis fin à cet espoir en ne le respectant pas.


Cette situation, ajoutée à la pauvreté dans laquelle vit la moitié de la population, à l'inégalité, au manque d'opportunités pour les jeunes, au racisme, à la misogynie, parmi tant d'autres maux de notre pays, ont créé un terrain propice à l'explosion de cette Grève nationale. La Colombie vit une guerre dans ses campagnes et ses zones rurales depuis plus de 60 ans. Ce qui est nouveau avec la grève nationale, c'est que maintenant, dans les villes aussi, il y a des personnes disparues et abattues par l'État tous les jours.

Il y a des privilégiés, les "riches" de ce pays, et spécifiquement à Cali, qui, avec la police et ses ex-policiers, ont attaqué des lieux de blocage comme la Portada al Mar en tirant depuis des camionnettes aux vitres teintées. Tout comme dans les campagnes, nous voyons maintenant, dans les villes, le paramilitarisme apparaitre au grand jour**.


Photo : Laura, Puerto Resistencia, Cali, 8 mai 2021


Je crains la mort, la mort de mes proches et de tous ceux qui protestent contre le gouvernement de ce pays. Il n'est pas possible que chaque nuit à Cali, des jeunes gens soient abattus par la police. Je crains également qu'il y ait un coup d'État militaire. En fait, je crois que c’est ce qui se passe : le pays n’est-il pas gouverné par les forces militaires ?

Mais surtout, j’ai peur que nous revenions à la "normalité" et que nous continuions à être condamnés à vivre sous cette dictature.

Mes demandes sont les demandes qui seront acceptées par l'assemblée populaire qui se tiendra dans chacun des points de concentration.

J'ai confiance en notre mouvement et en la création d'une liste de revendications qui rassemble les solutions à nos problèmes et besoins les plus urgents.

Notre action principale : essayer de rester en vie pour continuer la lutte.

Parmi les revendications les plus importantes : l'application de l'accord de paix, le démantèlement de l'ESMAD (unité anti-émeute de la police colombienne) et un revenu de base pour les familles les plus défavorisées. Nous exigeons que les réformes de la fiscalité, de la santé et des retraites soient pensées avec justice, en tenant compte des voix du peuple et cessent de répondre aux besoins du capital. A Cali, il y a eu des marches, des blocages et des rassemblements populaires. Nous avons reçu un soutien important des Minga (groupe de défense des peuples indigènes et des communautés noires du nord du Cauca), par l'intermédiaire du Conseil régional indigène du Cauca, le CRIC.


Nous avons également entrepris des actions symboliques, comme celles menées par le peuple indigène Misak qui a renversé plusieurs statues dans le pays. À Cali, ils ont abattu celle qui avait été érigée en l'honneur de Sebastián Belalcázar, pour eux le « conquistador » est responsable de la servitude et de l'extermination des peuples indigènes et des esclaves africains.



Ce que je veux pour l’avenir ? Je suis la tante de deux jolies filles très intelligentes qui sont ma plus grande fierté. Je rêve de les voir grandir dans un pays plus équitable, avec des opportunités, où leur vie et leur intégrité ne sont pas menacées.


Je veux un pays où la justice est rendue aux femmes et aux filles, où nos corps ne sont pas utilisés comme butin de guerre. Pendant la grève nationale, nous, les femmes, avons vu comment l'État non seulement nous enlève, nous fait disparaître, nous bat, mais ose aussi nous maltraiter et nous violer.


Je veux un pays qui connaît et ne répète pas son histoire tragique. Un pays où les accords de paix sont respectés, où la justice et les réparations sont accordées aux victimes et aux survivants, où les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif fonctionnent de manière indépendante, ce qui constitue une garantie minimale pour la démocratie.


Enfin, je veux un pays où les gens se projettent davantage en tant que communauté et moins dans leur individualité. Je veux qu’aux élections, nous nous rendions aux urnes en ayant pris une décision raisonnable et raisonnée en fonction de ce que nous voulons en tant que société.


Si je dois faire passer un message c'est : S.O.S Colombia ! Il est clair qu'il n'est pas possible de chercher à obtenir justice en Colombie, car il n'y a pas de réelle séparation des pouvoirs à l'heure actuelle. C'est pourquoi nous sommes contraints de demander une intervention internationale, au nom des organisations de défense des droits de l'homme. Nous tenons cependant à préciser que nous ne permettrons pas l'irruption d'une nation étrangère qui outrage notre souveraineté en voulant passer par-dessus la tête des citoyens.


Aux personnes, hommes et femmes, qui nous lisent et s'intéressent à la cause du peuple colombien, nous vous remercions. Continuez à rendre visible la dictature qui gouverne aujourd'hui la Colombie, les attaques de la police et des paramilitaires contre les citoyens et les indigènes Minga. Partagez. Demandez à vos dirigeants de s'exprimer à ce sujet. Tout cela est d'une grande aide pour qu'enfin, en Colombie, l'horrible nuit prenne fin.


* Entre 1995 et 2011, plus de 2,7 millions de femmes ont été déplacées de force (16 % se sont déclarées victimes de violences sexuelles). Selon une étude de l'Institution nationale de Médecine Légale en Colombie (INMLCF) en 2020 c'est: 1 007 femmes assassinées, 37 881 victimes de violences au sein du couple, 16 088 victimes de violences sexuelles, ce qui représente 86% du total des victimes de ces délits, les petites filles et les adolescentes étant les plus concernées.


** Le 11/05/2020, au cours du « Paro Nacional », 47 décès avaient été signalés, dont 39 dus à la violence policière et 34 à des armes à feu ; 111 cas tirs à armes à feu ; 12 cas de violence sexuelle contre des femmes ; 963 détentions arbitraires contre des manifestants, sans parler du nombre toujours croissant de personnes disparues - Indepaz et Temblores, 2021-.

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