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  • Jeanne Gourdon

Nancy, Cali, 41 ans.

Dernière mise à jour : 6 juin 2021


Nancy, Cali.


Nancy est une fervente défenseur des droits indigènes. Lors des conflits armés dans les campagnes colombiennes, ils furent les premiers à subir pillages, assassinats et exodes forcées. Membre actif de la MINGA, groupe de défense de droits indigènes. A Cali la MINGA a dénoncé plusieurs attaques, lors de manifestations pacifiques par des groupes civils armés, aidés dans certains cas, par la police colombienne.




Je suis une femme du páramo (plateau des hauteurs de la cordillère des Andes entre la forêt et les neiges éternelles). Je suis née sur le territoire ancestral de Guambia, dans la municipalité de Silvia. Je suis diplômée en histoire de l'université de Valle en Colombie et j'ai obtenu une maîtrise en sciences sociales ainsi qu’une spécialisation en développement et en genre à la FLACSO en Équateur. J'ai grandi dans le sud du Valle del Cauca. Aujourd’hui, je suis les traces de mes ancêtres, je marche sur leur chemin. En ce moment, je m’occupe de dynamiser le système éducatif du peuple indigène Nasa de Colombie. Dans l’histoire de la Colombie, les peuples indigènes, les paysans, les Afro-Colombiens et les classes populaires ont été les premières victimes de discriminations. De nombreuses politiques ont été créées pour éliminer physiquement et culturellement les peuples indigènes. Une résistance qui a émergé dans les années 60 s’est alors organisée. Son but était d’instaurer une réforme agraire pensée pour la communauté rurale indigène, mais aussi de revoir le paiement du «terraje» (loyer payé par un paysan sur les terres qu’il possède, établi depuis l’époque coloniale). Aujourd’hui la plupart des terres sont possédées par les agro-industriels pour la monoculture de la canne à sucre, de la palme ou du cacao endommageant l’écosystème de centaines d'espèces.

Un sentiment identitaire est alors né, et avec lui, l’envie de récupérer les terres usurpées depuis les années 1500. Il existe une devise de cette époque toujours d’actualité : « récupérer la terre pour tout récupérer. » Aujourd'hui, et après l’obtention de certains droits, la lutte continue. L'ennemi n’est autre que le gouvernement lui-même. Depuis la campagne électorale de 2018 et 2019, celui-ci refuse d’instaurer un processus de paix et ce avec n'importe quel groupe armé de gauche, alimentant le conflit interne vécu principalement dans les campagnes colombiennes. Le Centre démocratique et son leader, Álvaro Uribe Vélez, campent sur leur position, refusant l’instauration d’un processus de paix. Il est également important de noter que plusieurs membres de ce parti, y compris son principal dirigeant, font l'objet d'enquêtes sérieuses en lien avec le paramilitarisme et le trafic de drogue en Colombie.

Sur les réseaux sociaux, Uribe et ses partisans invitent à faire taire les protestations en déplaçant la police et l’ESMAD.


Fatigué, le peuple se soulève. Il proteste contre des politiques d'appauvrissement toujours plus nombreuses cherchant à affaiblir le peuple et à nier ses droits économiques, comme par exemple la suppression de la sécurité sociale colombienne dans les années 90.


Photo: Esteban Vega /Semana - Colombia hoy. - Foto: archivo/Semana. Manifestants de la MINGA à Cali.


J'ai vu mes frères étudiants mourir aux mains de l'ESMAD

Je suis aussi inquiète pour notre jeunesse. Les statistiques mettent en avant que les adolescents sont les premiers touchés lors des conflits armés. Cela me bouleverse de voir le visage des enfants et de savoir que les anciennes générations n'ont rien fait pour maintenir les droits dont je bénéficiais. Je m'inquiète pour les paysans, les indigènes et la classe populaire qui doivent travailler plus de huit heures par jour pour apporter un peu de nourriture à leur foyer.

Je m’inquiète aussi que, nous, les Femmes, soyons soumises à un couvre-feu permanent car marcher seule dans la rue nous est impossible sous peine d’être violées.

Je suis préoccupée par l’insensibilité et l'ignorance de la majeure partie du peuple colombien qui ne sait pas comment agir durant ces périodes de révoltes. Il y a aussi, je pense un énorme manque d’éducation, la Colombie est encore un pays avec un taux d’analphabétisme élevé.

Je suis inquiète de voir que certains moyens de communication et économiques sont utilisés pour délégitimer la parole des populations rurales, urbaines, indigènes, afro-colombiennes et que ces peuples n'ont comme réponse que la violence systématique.

Je suis préoccupée par le fait qu'après de nombreuses années de violence, nous n'avons aujourd'hui aucune garantie pour exercer notre droit légitime de manifester. Les revendications sont collectives. Comme le dit la Minga: "comptez sur nous pour la paix, jamais pour la guerre". Je veux que l’on écoute la voix des victimes et je les crois lorsqu'elles se plaignent de la disparition de leurs proches dans une guerre qui ne leur appartient pas.

Nous avons besoin d'une éducation gratuite et de qualité pour tous, en tenant compte des différences culturelles, territoriales, identitaires au sein d’une même communauté. De même, nous avons besoin de toute urgence d'un système de santé préventif répondant aux besoins des patients. L'acétaminophène, médicament toxique à haute dose, est le médicament prescrit pour toutes sortes de maux, du Covid 19 à la classique migraine.


Le devoir institutionnel a aussi perdu depuis longtemps son objectif : celui d’être des institutions de défense et de protection des civils en cas de guerre extérieure. Aujourd’hui, elles ressemblent à un refuge de mercenaires qui agissent comme bras armé d’un état corrompu et oppresseur. Des milliers de vidéos ont fait le tour du monde pour montrer la cruauté de la police contre le peuple. Avec la création de l'ESMAD en 1999, la politique en faveur des forces de police a été renforcée, il semble qu’on leur a accordé un pouvoir absolu, puisqu’un grand nombre de leurs actions restent impunies.


Dans le cas des forces militaires, selon la commission de vérité créée pour clarifier les éléments du conflit armé de l'état avec le groupe armé des FARC, environ six mille personnes ont été assassinées de manière extrajudiciaire par cette institution. Ces enquêtes révèlent que les civils étaient déguisés en guerillos afin de justifier certains homicides orchestrés par l’état.


J'ai vu mes frères étudiants mourir aux mains de l'ESMAD : Jhony Silva, homicide impuni en septembre 2005 et Julian Andres Hurtado tué en octobre 2006 alors qu'il enquêtait sur la mort du premier.



Dans le groupe des Minga, j'ai pu voir l’ESMAD endommager des biens immobiliers, frapper les plus démunis, mélanger la nourriture avec des excréments ou tirer des gaz lacrymogènes depuis les hélicoptères.

J'ai vu des centaines de personnes émigrer car les paramilitaires viennent imposer leur ordre, prendre ce qui ne leur appartient pas, extorquer et demander de l'argent en échange de la sécurité. Les guérilleros n'échappent pas non plus à ces pratiques.


Photo: JOSE VARGAS ESGUERRA. "Un million de Mercis Cali, nous sommes ton combat".


La Minga souhaite créer un horizon de changement positif

Ils sont les héritiers de l'exclusion, les héritiers des terres usurpées aux communautés indigènes. Ils sont habitués à dire à la population afro-descendante que leur musique et leur danse sont belles mais qu'ils n'ont pas le droit de protester pour quoi que ce soit et qu'au contraire ils devraient être reconnaissants du petit salaire, du peu de nourriture, du petit toit qu'ils ont la "permission" d'avoir.

Ces personnes ne connaissent et ne veulent pas connaître leur histoire, car leurs privilèges prendraient fin.

J'avoue que j'ai peur non seulement de la police et de l'armée mais aussi de ces hommes qui font des alliances pour la guerre, la mesquinerie, la faim, la pègre, l'anxiété et où naissent les douleurs de la population colombienne.



Pour l’avenir, je veux une Colombie qui laisse les secteurs paysans, indigènes et afro-descendants en paix, leur permettant de cultiver et de vendre leurs produits.

Je veux un pays capable de comprendre ses droits et de respecter celui des autres.

Je veux une Colombie digne qui n'a pas peur de sortir des stigmates du trafic de drogue, de la prostitution et de la corruption


Voici le message que je souhaite faire passer : nous devons nous organiser d'en bas, des quartiers, des communes, à partir des ouvriers, pour connaître les besoins communs. C’est l’appel de la Minga à travailler ensemble, à unir plusieurs voix. La Minga souhaite créer un horizon de changement positif, pour commencer à bien vivre, avec dignité, avec joie, avec le sourire, dans le respect de la vie humaine et de la nature. La Minga répète ce message depuis des millénaires : «penser et agir pour vivre heureux».

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