Photo: Sebastián manifeste à Santa Marta le 5 Mai 2021.
Jusqu'à maintenant, la ville de Santa Marta était restée en retrait du Paro Nacional. Et pourtant, derrière les murs des universités et des associations, la révolution s'organise. Le 5 juin dernier c'est la première fois que la ville accepte que les groupes associatifs se rassemblent dans le parque de los Novios dans le centre ville. L'ambiance est au rendez-vous, scène ouverte, musique, lecture d'article de loi, de poèmes, vente de gâteaux, de cocktails. Le peuple colombien, main dans la main, scandant les même slogans, se battant pour les mêmes convictions. C'est ça, l'essence du Paro Nacional.
Je m'appelle Sebastián Ronaldo Riátiga Barroso, j'ai 22 ans, j’habite à Santa Marta. Je suis étudiant en administration des affaires à l'université de Magdalena. Je suis leader du mouvement étudiant, activiste politique, défenseur de la vérité, de l'environnement, des droits de l'homme et surtout de la vie.
Pour bien comprendre la situation en Colombie, nous devons nous rappeler ce qu’est l’histoire de ce pays : nous sommes une nation où un système féodal est encore géré de la même manière depuis les années de la conquête espagnole. Un système dans lequel quelques familles et propriétaires terriens divisent le pouvoir et le territoire comme ils l’entendent. La corruption a ainsi été installée avec le soutien de l'État pour faire paraître légal tout ce qui ne l’est pas. Un cynisme et une corruption qui dénigre le peuple . Nous avons vécu plus de 200 ans de guerre, depuis l'indépendance obtenue par Simon Bolivar. Cela a généré la création de guérillas rurales et urbaines en réponse à la rébellion politique et sociale des paysans, des travailleurs, des étudiants et d'autres personnes de la société civile colombienne. L’effet boule de neige a engendré, ensuite, la création d’une contreposition de groupes armés en dehors de la loi mais avec la collaboration de l'État appelée paramilitarisme.
Photo: Sebastián, Santa Marta, 5 Mai 2021.
Pour ressentir la violence latente en Colombie, il suffit de vivre quelques mois ici.
Mon expérience fait de moi quelqu’un qui concentre tous les malaises de la société colombienne, en particulier celui de la jeunesse qui est dans les rues pour parler de dignité. Les préoccupations actuelles concernent la réduction de la corruption qui fait tant de mal à la Colombie, une justice très pauvre et déficiente, le fait que 42,5% de la population colombienne ne peut même pas manger deux repas par jour. Le système de santé est également inefficace.
On ne se rend pas souvent dans les établissements de santé de peur de repartir dans un état pire que celui dans lequel on est arrivé. On peut passer de nombreuses années de sa vie à s'endetter pour avoir une éducation supérieure de qualité et malgré cela, on n'a pas les garanties de s’en sortir et de trouver du travail, on finit chômeur. On a aussi peur de se promener dans ce beau pays, peur de disparaître, d'être kidnappé et, dans le pire des cas, d'être assassiné.
Environ 78% de la population se méfie de la police. C’est pourtant en elle que nous devrions avoir confiance, elle qui représente l'autorité, la légitimité. C’est en fait complètement le contraire. Les Colombiens ne croient pas en ce système de police corrompu, violeur des droits de l'homme, inefficace, apathique, et meurtrier. Ce n'est pas la faute des officiers eux-mêmes, beaucoup d'entre eux veulent faire du bon travail. C’est la responsabilité des directions et hauts commandements qui sont chargés de mettre en œuvre une politique abusive et dominatrice, ils sont complices des élites colombiennes ou des familles oligarques. Ils sont chargés de maintenir ces appareils légaux de l'État dans le droit chemin afin de continuer à faire pression sans que personne ne leur dise rien. Quand cela ne fonctionne pas, ils utilisent des agents externes et illégaux. Souvent ces groupes paramilitaires, la police et l'armée nationale travaillent ensemble, complices et responsables de crimes contre l'humanité.
Pour ressentir la violence latente en Colombie, il suffit de vivre quelques mois ici, il y a une atmosphère de consternation, d'attente. Ici, c'est un miracle de vivre chaque jour parce que vous ne savez pas à quel moment vous pouvez mourir, vous ne pouvez pas sortir dans la rue en sécurité parce que les groupes armés ont déclaré votre localité comme une zone de guerre avec des soi-disant frontières invisibles. Cette insécurité est pire dans les zones rurales parce que l'État n'est jamais arrivé dans ces territoires qui sont frappés par la guerre, négligés. Celui qui fait la loi le fait une arme ou un fusil à la main.
Photo: Steven LE ROCH, Plaza de los Novios à Santa Marta, 5 Juin 2021.
Ce que je veux pour le futur de la Colombie tient en un mot : L’ESPOIR.
Ici les slogans et les mots d’ordre populaires sont clairs : EL PUEBLO SE CANSÓ! Le peuple est fatigué! Il est fatigué de tout ce que je viens d’évoquer. Nous ne pouvons supporter un jour de plus ce qui se passe, nous ne pouvons pas continuer à être indifférents et à détourner le regard alors que nous sommes responsables de ceux qui viennent après nous. Nous sommes la génération qui n'a pas peur, la génération digne et rebelle qui est prête à aller jusqu'au bout, au péril de sa propre vie, pour mettre fin à ce système corrompu. Nous sommes la génération qui reconstruira une nation et la transformera pour qu'à l'avenir cela ne se reproduise plus.
Ce que je veux pour le futur de la Colombie tient en un mot : L’ESPOIR, celui que j’ai chaque jour de me réveiller dans un nouveau pays, l'espoir d'améliorer tous ces systèmes tels que l'éducation, la santé, la justice, la police, et tous les autres systèmes corrompus. J'espère pour l'avenir de mon pays que les prochaines générations n'auront pas à subir tout ce que nous vivons mais qu’ils auront droit à un pays humain, multiculturel, respectueux de l'environnement, des droits de l'homme et surtout de la vie.
Je voudrais dire un grand merci à ce réseau où nous pouvons exprimer notre opinion et exposer à toute la communauté internationale ce qui se passe en Colombie, un beau pays que je vous invite à visiter dans un avenir proche.
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