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  • Jeanne Gourdon

Victoria*, 20 ans, Bucaramanga.


Photo: Victoria et son copain pendant la marche à Bucaramanga le 9 juin 2021.



Le système éducatif colombien a des lacunes. De la petite école jusqu'aux études supérieurs accessibles à une infime partie de la population. Les jeunes se sentent délaissés, sans avenir ni opportunités. Les universités sont devenues, alors, des points de rassemblement symboliques où convergent violence, lutte, débats sur la liberté d'expression et les droits de l'homme.

Le 19 Mai 2021 le gouvernement vote une aide de financement exceptionnelle de 600 Millions de pesos colombiens (137 000€) à l'attention des étudiants qui n'a malheureusement pas suffit à apaiser les tensions.



Je m’appelle Victoria, j'habite la région de Santander et j'ai 20 ans.

Depuis que je suis petite, je constate en Colombie, un manque d'opportunités pour la classe inférieure à laquelle j'appartiens. Avec ma grande sœur et ma mère, nous avons grandi avec la faim. Mon père n'était pas vraiment là. Ma mère n'a pas fait d'études, il était très difficile de trouver un emploi.


J'ai étudié dans une école publique qui se fichait que les élèves suivent les cours. Le manque d'enseignants était flagrant. Le gouvernement n'a jamais investi dans la qualité de l’ éducation. J'ai réussi à être diplômée et j'ai voulu entrer dans une université pour être vétérinaire, mon rêve. Il y avait très peu de places. C'était presque impossible. Les études sont déjà chères, mais ici, les gens riches payent encore plus pour garantir une place à leurs enfants. Ma mère n'a pas pu m’offrir les études que je voulais faire. J'ai renoncé à ce rêve en 2019. J'ai intégré une filière technologique qui ne m'intéressait pas du tout, mais l'important c'était d'étudier.


Victoria, à gauche, avec ses amis de la première ligne. Ils ont entre 16 et 27 ans. 9 juin 2021


Je préférerais perdre la seule chose qu'il me reste : la vie.


J'ai arrêté car j'ai trouvé un travail dans une clinique, mais ils ne m'ont prise que 6 mois pour ne pas avoir à payer les allocations légales. Encore une autre forme de favoritisme du gouvernement en faveur de ceux qui sont payés au "black". Je me suis retrouvée au chômage, la pandémie est arrivée et tout a empiré. Nos dirigeants nous ont mis en quarantaine, sans se soucier de savoir si nous avions assez à manger. Ils nous ont seulement dit : "Restez à la maison". Après plusieurs mois, ils ont versé des "obligations de solidarité" d’un montant de 160 000 pesos Colombiens (37€). Beaucoup de cet argent a été détourné par le gouvernement avec de fausses cartes d'identité.


De nombreux Colombiens se sont retrouvés sans cette aide minimale. C’était déjà très peu pour beaucoup d’entre eux, parce que tout coûte cher. Dans la classe inférieure ou moyenne, il y a des familles de 8 membres ou plus. Si vous aviez de la chance vous receviez un bonus par famille ou pas du tout. Certains avaient seulement de quoi survivre. Puis le gouvernement a voulu nous imposer une réforme fiscale.


Elle prévoyait d'augmenter la TVA sur des produits de première nécessité. Elle a fait exploser tout ce que nous avions réprimé pendant des années : le manque d'éducation, le manque d'opportunités, la corruption, la négligence du gouvernement envers la classe inférieure et moyenne. C'est ce qui m'a donné du courage et de la force pour rejoindre la “primera Línea” (ligne de front) pour dire "NO MAS" (ça suffit). Nous sommes fatigués de la corruption de l’Etat. La vérité c’est que nous, les jeunes, n'avons rien à perdre. Nous ne pouvons pas étudier, nous n'avons pas de travail, nous n'avons pas d'aide du gouvernement, nous n'avons même pas assez à manger et croyez-moi cela fait réfléchir. Je préférerais perdre la seule chose qu'il me reste : la vie.


Depuis le début des manifestations, j'ai aidé le poste des médecins à secourir les manifestants aspergés aux gaz lacrymogènes. Le 28 mai, l'ESMAD (escadron mobile anti-émeutes) m'a tiré dessus, j'ai été blessée à la tête. J'ai quitté la première ligne, mais pas pour rentrer chez moi, pour rester derrière et ramener les blessés. Tout en soignant ma blessure.



Victoria s'est fait prêter un casque, rose, un symbole pour elle. Elle attend avec ses amis que la marche se dirige vers l'université, 9 juin 2020.


C’est ce qui me tient quand je suis sur le point d'abandonner. Je m'imagine comme une grande vétérinaire.

Je fais toujours très attention à ne pas être victime de brutalités policières et de la violence de leurs attaques. La force avec laquelle ils nous jettent le gaz pour nous noyer est impressionnante. Le pire c'est que j'ai pu ramasser quelques cartouches et elles sont périmées, donc plus dangereuses.


D'un autre côté, je suis très contente de ce que nous avons réalisé : nous avons renversé la réforme fiscale qu'ils voulaient mettre en place, renversé la réforme de la santé, obtenu le financement de logements pour les jeunes.


Un de mes plus grands rêves ( j’en ai beaucoup), c'est de pouvoir un jour étudier la médecine vétérinaire. C’est ce qui me tient quand je suis sur le point d'abandonner. Je m'imagine comme une grande vétérinaire. J’imagine aussi bien d'autres choses positives pour mon pays.

Par dessus tout, je souhaite que nous, les jeunes, puissions accéder à ce dont nous rêvions quand nous étions enfants.


* Le prénom a été changé pour des raisons de sécurité.


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